Il n'avait rien demandé à personne. Depuis toujours, il avait vécu sa vie en solitaire, voletant ici et là de tanières en tanières, rencontrant parfois quelques spécimens de la gente féminine mais sans jamais rester au même endroit. C'était un travailleur acharné, bâtissant ses abris temporaires jusqu'à ce que quelque chose, les géants ou les intempéries, le détruise. Alors il partait, loin, et s'en construisait un nouveau.
Cela faisait peu de temps qu'il était arrivé dans cette région dont il ne connaissait le nom. A vrai dire, il n'avait jamais eu ce genre de considérations, c'était plutôt normal pour des êtres tels que lui.
C'était une belle matinée, après une nuit pluvieuse qui favorisait la terre qu'il adorait temps. une journée qui aurait pu être splendide, mais quelque chose en avait décidé autrement. L'Ombre se mit à grandir. Elle devînt gigantesque. Il ne comprenait pas vrai ce dont il s'agissait, mais son instinct le poussait à fuir. Il devait sortir de cet ombre à tout pris.
Il la voyait, la démarcation entre l'ombre et la lumière. Il cherchait à l'atteindre, il courrait aussi vite qu'il le pouvait. Il allait l'atteindre ... mais il était trop tard. Quelque chose possédant un poids titanesque tomba sur son corps, brisant son corps. Lentement, il poussa son dernier râle d'agonie alors que dans sa rétine s'imprimait les dernières images de son environnement ... de cette masse gigantesque, crantée et caoutchouteuse où était inscrit le chiffre 44, s'éloignant de lui à vive allure pour s'écraser plus loin, puis plus loin encore ...
***
Vhangraad maugréa quelque chose d'incompréhensible et s'arrêta quelques mètres plus loin, là où le seul était moins boueux. Il leva son pied pour regarder sous sa chaussure et châssa de la pointe de son épée les restes éparpillés du scarabée qu'il venait d'écraser par mégarde.
Il rangea de nouveau la rapière à sa ceinture et rajusta cette dernière pour que le pistolet et la lame soit à portée de main, pour être dégainées le plus vite possible. Puis il remit son chapeau en place et reprit sa route en direction du campement des "Loups d'Ostland". C'est ici qu'il demanda à rencontrer quelqu'un ... un chargé de recrutement ou le capitaine ou peu importe son nom, puis il entra dans la taverne.
L’homme qu’on lui avait désigné comme étant le sergent recruteur de la fameuse Compagnie des Loups d’Ostland, regardait sa choppe d’un air absent en se curant négligemment ses ongles à l’aide de sa dague effilée. De temps à autre il crachait par terre la chique qu’il mâchait bruyamment, laissant parfois un fil de bave se perdre dans sa barbe hirsute comme un insecte dans un buisson de chardon. Alors que pour la troisième fois, Vhangraad tentait de l'interpeller, proprement ignoré par le sergent, ce dernier consentit enfin à sortir de ses pensées en le détaillant des pieds à la tête. Dans un silence gênant, il poursuivit son inspection méticuleuse comme pour juger si l'apparence de celui qui le dérangeait pourrait lui sembler assez acceptable pour lui répondre. Quant enfin il y consentit, ce fût d’une voix rauque et avec un accent à couper au couteau qu’il s’adressa à lui.
- « Si t’attends qu’j’te tire la chaise tu peux dégager du plancher bouseux… tu m’déranges ! »
Voyant dans le regard de son interlocuteur et probablement un peu à son accoutrement que Vhangraad n’était ni le saltimbanque qui venait de pousser la chansonnette, pas plus que le pilier de comptoir qui cherchait quelque part ou s’affaler, il relança alors.
- « T’es là pour quoi ? Cause vite, ta gueule me fout la gerbe, ça va m’couper l’envie d’boire. »
- " Je viens m'engager. " La réponse était claire et précise, sans arrogance ni supplique.
- « Et qu’est-ce qui t’fait croire que tu peux d’venir mercenaire péquenaud ? T’as vu des feignasses chez nous ? On r’crute pas chez les buveurs de lait »
Vhangraad caressa lentement le bouc autour de ses lèvres puis retira son chapeau avant de répondre.
- " J'ai déjà chassé l'Hérétique. "
En écoutant d’un air distrait, le sergent recruteur tapotait contre la table, la lame de sa dague qui commençait à accumuler la saleté raclée sous ses ongles noirs. Il releva la tête vers Vhangraad d’un air blasé et l'interrogea à nouveau.
- « Et tu as appris quoi quand tu chialais dans les jupes de ta mère ? A faire la boustifaille ? Et donne pas dans les sentiments, le larmoyant ça m’donnera surtout envie de t’foutre la gueule dans la boue et d’y marcher d’ssus.»
- " Je doute qu'une mère puisse apprendre quoi que ce soit de ce que j'ai appris auprès de la Sainte Inquisition. Si tel était le cas, elle aurait été brûlée vive par mes confrères depuis longtemps, si ce n'était pas moi qui l'avait fait. "
D’un air dubitatif, le sergent griffonna quelques notes à la suite de ce qu’il avait déjà pris depuis le début de ce semblant d’entretien.
- « Mouais… crois pas qu’tu vas m’convaincre avec ça… y’a des pisseuses dans l’coin qu’j’ai plus de raison d’engager qu’toi. Quand on s’engage chez nous c’est pour la vie… C’est pas une maison d’accueil pour les paumés dans l’genre. Si t’es là pour trouver ton papa perdu et t’barrer quand tu l’as r’trouvé tu peux retourner vers la sortie et d’casser d’là en priant que j’te refasse pas la tronche d’m’avoir pourri mon temps. T’en es conscient ? Alors comment tu vois ton futur chez nous si jamais on estime que ta carcasse peut y v’nir y prendre des coups ? »
- " Une place dans votre compagnie. Ni plus ni moins. Si je peux chasser de l'Hérétique, autant le faire avec une solde si petite soit-elle que pour le plaisir d'un crétin qui considère que telle ou telle personne en est un parce que sa tronche ne lui revient pas. Et aussi pour avoir des supérieurs qui ne sont pas des incompétents finis piaillant derrière leur bureau. "
Sans changer d’attitude, bien au contraire, le sergent écoutait d’un air féroce, comme s’il allait lui sauter sur le râble d’un instant à l’autre pour se passer les nerfs.
- « T’as que’qchose à rajouter avant de t’barrer d’ma table ? Après ça sera trop tard, laisse nous au moins un endroit où t’faire appeler si l’Capitaine il est intéressé par toi. »
- " Rien. Je resterais dans les parages. Vous finirez bien par me trouver. A moins que j'ai besoin d'un panneau désignant que je veux être recruté pour qu'on me retrouve. "
Sur ce, il salua et tourna les talons pour se placer juste à l'extérieur de la taverne, contre le mur près de la porte. Debout, bras croisés sur le torse, chapeau baissé sur le visage, il attendit calmement.
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Lun 16 Mar - 21:12
