Un homme de taille et de carrure imposante entra en armure dans la taverne de Wolfenburg.
Les quelques clients que l' ébriété n' empêchait pas de voir correctement, dévisagèrent le nouveau-venu. Mais ceux-ci ne furent nullement impressionés par la stature de l' homme, qui n' avait rien de plus spectaculaire que ce qu' ils avaient déjà pu admirer au cours de leur vie. Ce qui attira leur attention et suscita leur étonnement fut son visage, tandis qu' il traversait la salle d' un pas banal.
Cet homme au crâne rasé possédait un visage imperturbable d' une tristesse infini. C' était comme si l' on avait taillé les traits de la miséricorde dans du granit.
Tout le long du chemin qui le menait jusqu' à la table du sergent recruteur, le nouveau-venu ne quitta pas son expression de profonde compassion et sembla allourdir l' air d' une fatalité presque palpable.
Toutefois, sur cet imperturbable visage de marbre se trouvait juchée une minuscule paire de lunettes. Le caractère insolite du personnage prenant le pas sur son aura de fatalité, les clients detournèrent leur attention de celui-ci pour la reporter sur leur choppe.
Cependant, l' inconnu se tenait debout et immobile devant la table du sergent recruteur qui, tout en regardant sa choppe, semblait faire semblant d' ignorer le personnage.
Celui-ci resta silencieux durant plusieurs bonnes minutes, jusqu' à ce que le sergent, exaspéré, lui crache :
"Si t’attends qu’j’te tire la chaise tu peux dégager du plancher bouseux… tu m’déranges !"
Puis, jugeant de l' accoutrement de l' homme et surtout de son visage, il reprit :
"T’es là pour quoi ? Cause vite, ta gueule me fout la gerbe, ça va m’couper l’envie d’boire."
N' ayant toujours pas été invité à s' assoir, l' homme se présenta d' une voix si monocorde que le sergent recruteur, après avoir tendu l' oreille en grimaçant, lui cria de parler plus fort.
Ce fut donc d' une voix audible mais monotone comme le souffle du vent dans une vallée creuse, que l' homme déclara :
"Je me nomme Walther. Walther Wolman, mais en tant que prêtre de l' Eglise de notre très Saint Sigmar, je préfère que l' on me nomme Père Wolman.
Si je viens à vous en ce jour, c' est dans le but de rejoindre votre compagnie de mercenaires : Les Loups d' Ostland."
Le sergent lui lança d' emblée :
"Et qu’est-ce qui t’fait croire que tu peux d’venir mercenaire péquenaud ? T’as vu des feignasses chez nous ? On r’crute pas chez les buveurs de lait
_En tant que membre de l' ordre du Marteau d' Argent, j' estime jouir d' une certaine aptitude au combat. De plus, le mercenariat ne m' est pas complètement étranger."
L' ayant plus ou moins écouté, apparemment blasé d' entendre râbacher continuellement les mêmes paroles, le sergent enchaina rapidement :
"Et tu as appris quoi quand tu chialais dans les jupes de ta mère ? A faire la boustifaille ? Et donne pas dans les sentiments, le larmoyant ça m’donnera surtout envie de t’foutre la gueule dans la boue et d’y marcher d’ssus.
_Etant jeune ? J' ai apprit tout simplement la foi de notre grand Sigmar, ainsi que la façon dont un prêtre se doit d' entretenir son temple. Mais vous vous doutez bien que ce n' est pas avec de telles compétences que l' on finit par s' engager auprès de votre compagnie...
J' ai donc par la suite acquit une certaine... endurance ainsi que, bien entendu, quelques capacités à la guerre. Je maitrise également le Saint Pouvoir de guérison, conféré par notre Dieu à tous.
Pointant le dénommé Walther Wolman du bout de sa plume crasseuse, le sergent lui lacha :
"Mouais… crois pas qu’tu vas m’convaincre avec ça… y’a des pisseuses dans l’coin qu’j’ai plus de raison d’engager qu’toi. Quand on s’engage chez nous c’est pour la vie… C’est pas une maison d’accueil pour les paumés dans l’genre. Si t’es là pour trouver ton papa perdu et t’barrer quand tu l’as r’trouvé tu peux retourner vers la sortie et d’casser d’là en priant que j’te refasse pas la tronche d’m’avoir pourri mon temps. T’en es conscient ? Alors comment tu vois ton futur chez nous si jamais on estime que ta carcasse peut y v’nir y prendre des coups ?"
Devant cette nouvelle question, le père Wolman sembla réfléchir. "Sembla", car rien sur son visage figé, ne pouvait transparaitre. Seuls ses yeux, derrière ses petites lunettes, se perdirent dans le vague sur le côté, tandis qu' il demeurait silencieux.
Puis, devant un soupir d' exasperation du sergent recruteur, le père Wolman repondit :
"Selon moi, un veritable mercenaire n' as pas à imaginer son futur d' une quelconque façons que ce soit...
Il n' en possède pas. Et quand bien même il se pourrait qu' il ait de l' avenir, c' est à ses supérieurs de décider lequel...
Si vous tenez vraiment à tout savoir, sachez que je n' ai aucun but dans la vie. J' en ai eu bon nombre auparavant, mais tous se sont soldés par un échec. A présent, je n' ai plus aucune raison de vivre, je m' en remet donc à la première compagnie de mercenaires que je croise.
Vous m' excuserez si je ne vous ai pas choisis par prestige, mais j' ai comme dans l' idée que vous n' avez que faire des jeunes loups en quête de prestige.
_C' est ça ouais ! T’as que’qchose à rajouter avant de t’barrer d’ma table ? Après ça sera trop tard, laisse nous au moins un endroit où t’faire appeler si l’Capitaine il est intéressé par toi.
_Et bien...
Ici même, je prends une chambre de suite...
Au revoir ou à jamais messire."
Le sergent recruteur se contenta de terminer de gribouiller sa feuille, daigant saluer le soi-disant Père Wolman.
Ce dernier se rendit au comptoir, réajusta ses lunettes et commanda une chambre.