« Ta barbe pend-elle bien bas?
Se balance-t elle avec tes pas?
Peux-tu la nouer?
Ou sur l'épaule la jeter?
Ta barbe pend-elle bien bas?
Se balance-t-elle avec tes pas?
Ou comme le soldat humain bien fait
L'as-tu coupée à ras?! »
L’écho des voix furent emporté par les vents tandis que celui des choppes et des rires gras résonnèrent de plus belles.
La fête battait sont pleins à Grad Galzar, petite bourgade minière aux portes de la majestueuse Montagne Grise. Ce site, connu par les plus grands forgerons pour la finesse de ses minerais, commémorait en ce jour « La pioche Céleste », jour où Gruhlir ChanceCocu tomba, par un coup de manche inespéré, sur ce filon qui fit la renommée de cette ville.
La plupart des mineurs étaient conviés, la presque totalité des gardes aussi. Presque car devant la recrudescence de peaux vertes dans la région, il fallait maintenir une surveillance sur les deux entrées potentielles : Celle au Nord, donnant sur la rivière et celle au sud où quelques tunnels permettaient parfois un assaut d’orcs et de gobs.
« Regardes donc de ce côté Malakai, on est de garde, je te rappelles. »
« Je sais, Yanni, je sais. Mais tu ne vas pas me dire à moi que l’odeur de la mousse ne te titille pas les naseaux ? Tu ne vas pas me dire que tu serais contre un morceau gigot ? Et puis, y a la Runella qui me fait de l’œil depuis quelques jours, par ma barbe, ce soir, c’est le bon soir. »
Secouant la tête de dépit devant la détermination de son ami, Yanni soupira
« On va se faire pincer, on va se faire pincer »
Trop tard, Malakai avait déjà gravi le petit muret, sauté sur la passerelle, plongé sur le toit de la forge et en moins de deux, était en bas, le tonneau, le plateau de nourriture et sa promise en ligne de mire.
Yanni le rejoignit continuant ses jérémiades.
« Ahh, pas à dire, une chopine, ça te requinque un nain »
Buvant son verre d’un trait, la mousse blanche s’accrochant à sa barbe tandis que de l’autre main il approcha de sa bouche un morceau de viande bien juteux, Malakai souriait à pleines dents devant la mine déconfite de son camarade.
« Détends toi. Ca fait une paye que les peaux vertes n’ont pas pointé leurs nez par les tunnels. Par mes ancêtres, je te dis que ce n’est pas ce soir qu’ils vont y remédier. Profites, Yanni, Profites. »
Abdiquant en saisissant le morceau de viande tendu, Yanni suivit son comparse au centre du village où la fête continuait à remplir la nuit de rires, de musiques de chants et de tintements de choppes.
Et la soirée s’écoula, au fil des verres, plusieurs heures. Jusqu’à ce qu’un cri retentit, un cri bien différent des hurlements de joies qui emplissaient les lieux quelques minutes avant. Un silence remplaça les chants et, le chaos engloutit la bourgade au moment où les portes Sud s’ouvrirent dans un fracas tonitruant. Une marée verte s’engouffra dans la brèche, inondant le village dans sa limpide brutalité.
Les nains, prit au dépourvu, mirent plusieurs minutes avant d’organiser un semblant de défense, minutes bien suffisantes aux peaux vertes pour faire un carnage dans la ville minière. La vague verte fut repoussée mais le bilan était lourd pour la bourgade et, suite aux regrets vient alors le temps des règlements de compte.
« Qui ? Qui était de garde ce soir aux portes sud ? »
« MALAKAI, MALAKAI, MALAKAI »
Les survivants hurlaient le nom du nain, faisant abstraction du défunt Yanni, il avait déjà payé le prix de sa faute lors de l’attaque.
Malakai était là, à genoux devant les cadavres alignés, entouré par les rescapés, la foule continuait à hurler son nom comme pour purger la haine d’avoir perdu un être chère.
« MALAKAI, MALAKAI, MALAKAI »
Le chef du village requerra le silence en levant la main.
« Honte à toi, Malakai, d’avoir déserté ton poste. Honte à toi d’avoir déshonoré ton clan, tes ancêtres en apportant sur nous la mort en ce jour saint, Honte à toi. Deux heures, nous t’accordons deux heures avant que tu ne quittes ce village, deux heures avant que ton nom soit oublié de nos mémoires et que nous te chassions comme un parjure. Honte à toi »
« HONTE A TOI, HONTE A TOI, PARJURE »
Un soir, quelques parts au nord de Grad Galzar.
Malakai était là, tête basse ruminant ses pensées devant les braises d’un feu presque mort.
A ses pieds, le vent emportait le vestige de sa chevelure fraichement rasée.
Sur ces genoux, un livre grand ouvert sur lequel on pouvait lire cette phrase parmi tant d’autres :
Pour n’avoir su garder l’œil sur mes ennemis, pour avoir posé les yeux sur la gourmandise, l’ivresse et la luxure plutôt que sur l’honneur de mon clan et de mes ancêtres, moi, « Unbaraki », jure de ne lever la tête que pour regarder en face la mort, puisse telle être la mienne ou celle de mes ennemis