Soledad
Gwenn a un visage rond, une de ses oreilles est percée de plusieurs anneaux, ses bras sont tatoués, son corps aussi sans doute, à en juger par sa nuque. Ses cheveux sont ras.
Dans notre château, je l’aurais bien vue comme servante aux écuries…
Gwenn appartient à une bande de soudards qui campent ici en face des ruines de Wolfenburg et s’apprêtent à partir vers le Reikland. Je la connais depuis deux heures à peine ; tout à l’heure, j’ai feint de m’intéresser à ses armes pour engager la conversation. Depuis, j’essaie de la persuader que je veux les rejoindre.
Gwenn m’a amenée dans ce bouge où trainent d’autres hommes d’armes de la même Compagnie.
La regardant droit dans les yeux, j’assène mon meilleur argument :
« J’ai servi dans la troupe de Götz von Berlichingen, Götz main de fer, pendant le siège de Worms ».
Et pour couronner le tout, je lui fais une description fort exacte de Götz et de quelques uns de ses sbires.
Je ne mens qu’à demi. Je connais un peu Götz puisqu’il a séjourné dans notre château et mangé avec ses lieutenants à notre table il y a deux ans. Il nous a narré sa campagne contre les paysans révoltés d’Ostermark.
« Et puis au pistolet je touche ma cible à cent pas ! »
Il est exact que je sais tirer au pistolet et que je me débrouille à cheval. En revanche, je n’ai jamais tiré que sur des cibles ou à la chasse…
Pour le reste, j’improvise. Mes précepteurs m’ont appris un peu de rhétorique, un peu de casuistique aussi : je mens comme il faut, c’est à dire effrontément.
Les yeux de la fille ne me lâchent pas.
« Et pourquoi veux tu rejoindre les Loups d’Ostland ? »
Je brode. Je raconte que même les gars de Götz disaient que les «Loups» étaient les meilleurs.
En vérité, hier, j’ai vu mon frère Arpad et ses hommes d’armes parcourir le camp de Valmir von Raukov. Ils me cherchent. Je crains qu’il ne regrette à présent de m’avoir laissée en vie. Je pensais me cacher à Wolfenburg mais la ville est en ruines ; ce qui reste de sa population a trouvé refuge dans les faubourgs. Ils ne tarderont pas à me mettre la main au collet. Il faut que je quitte cet endroit et je n’ai plus un sous vaillant. Jusqu’à ce qu’ils quittent la région, je me cacherai dans les rangs de ces mercenaires. Après…nous verrons.
Elle se lève, elle me dépasse d’une tête. Je regarde avec regret le contenu de mon assiette, le repas qu’elle m’a offert était le premier depuis deux jours. Sa main enserre mon bras comme un étau, elle m’entraine vers le fonds de la taverne.
« Allez, viens ma biche, tu vas raconter ton histoire à Till. »
Le reitre devant lequel elle me traine a une trogne rougeâtre toute en bosses et en creux qui semble être l’œuvre de Nurgle.
Si les Dieux sont bons, peut être lui aussi croira t’il mes mensonges…
«Qu’est ce que tu me ramènes Gwenn ? Une fille ? J’aime les femmes moi, pas les planches à pain. Garde là, elle est plutôt ton genre. Quoi ? Elle veut s’engager ? »
Il rugit de rire, manque de s’étrangler, postillonne. Il pue le vin et l’ail.
Je le hais déjà.
Comment ai je pu tomber si bas ?