Ses cris déchirèrent le vent, le crépitement même des flammes du village ravagé, incendié. Dans les brumes levées par le souffle chaud des braises et des cendres, entourés par les flammes, une petite fille pleurait sa mère gisant entre ses bras, sans vie. Elle cherchait du nez, le cou adoré, voulant se glisser une fois de plus contre elle. Une large entaille déversait son lot d’entrailles, laissant apparaître ce sang et cette chair tant aimée.
Le village venait d’être la proie de la barbarie des gobelins mis en déroute par l’arrivée tardive mais néanmoins précieux d’une troupe de mercenaires ainsi que par les flammes toujours plus impitoyables. Ne trouvant plus rien à voler, ne laissant dans le village bretonnien que quelques survivants les peaux vertes s’enfuirent, porteur de nouvelles réserves et de quelques richesses grappillées.
Déroutés, les villageois purent arrêter tant bien que mal ou limiter dans certains endroits du village le feu le plus dévastateur et devant les restes de leur village se mirent en tête de séparer la mère morte et sa fille pour la mener promptement à un grand chêne pour servir cette fois de gibet. Cette fille étrange aux cheveux roux, toujours à se fourrer la ou il ne faut pas, elle avait déjà attiré milles fois le malheur sur eux. Ils le savaient, il y avait évidemment mille témoins ! Qui n’avait pas perdu un agneau quand elle se promenait non loin. Elle portait la marque des démons sur ses cheveux. On la savait également capable de ruiner une récolte, le paysan l’avait bien vu cracher dans son champ avant le passage d’un nuage de grêle qui avait détruit toutes ses pousses de blé. Sans parler de la fois ou elle s’était baignée dans la rivière et où un agneau buvant à l’aval fut soudain saisi de convulsions et mourut. On pourrait tout aussi bien évoquer qu’elle parlait aussi bien aux fées qu’aux démons. Elle était forcément marquée à vie par cette couleur rousse, rougeoyante.
La troupe armée s’approcha et Einar fit entourer les villageois par ces hommes. Avant qu’ils n’eussent le temps de passer le nœud coulant autour du cou de la gamine de tout juste sept ans, il leur demanda d’une voix glaciale et forte ce qui se passait par ici.
« Fous nous la paix ! »
« Pas tes affaires »
Le premier ayant parlé, s’avança d’un air menaçant et reçut comme réponse un coup de pied savamment dosé dans les dents.
Les épées dégainées, les arcs bandés, les pistolets chargés eurent tôt fait de convaincre même les plus récalcitrants des villageois que ce problème interne pouvait tout aussi bien s’élargir à cet étranger.
Malgré tout il fut bien difficile de tirer quoi que ce soit de cohérent de cette foule en colère. La plupart de leur propos concernait le mauvais sort de cette gamine jamais avec les autres et qui portaient des cheveux roux. On l’accusa même la nuit d’avoir dansé au milieu des vaches qui sont toute tombées malade pour essayer d’attirer les gobelins sur eux... sans compter évidemment le feu qu’ils avaient eu tant de mal a maitriser.
« De toute façon on veut plus d’elle ! Elle apporte le malheur avec ses cheveux roux »
« Et ça s'rait pas plutôt le feu qui a fait fuir les Gobelins crétin ? Ca voudrait dire qu'elle vous a p'têt bien sauvé... et vous allez la pendre pour l'a remercier bande de couards. Tous pareils les bouseux... »
En réponse il reçut dans les pattes de son cheval qui se cabra de surprise la gamine projetée par l’un des villageois. L’animal fut rapidement maîtrisé par le capitaine afin de l’empêcher de piétiner cette dernière.
« Rien dans les couilles » fit-il d’un air méprisant.
Puis faisant virevolter son cheval tandis qu’il prenait la fillette qui s’était relevée. « Allez, on l’emmène, on verra après ».
6 ans dans la compagnie… 6 ans à être soit la mascotte soit le souffre douleur.
6 ans qui passèrent comme dans un rêve. Un rêve fait de guerre mais un rêve pour elle, un village nomade, jamais à se fixer, jamais à travailler mais toujours devoir rendre service. Ce qu’elle faisait en ronchonnant mais ne se plaignant pas trop de peur qu’on la rejette. Ronchonner pour ressembler à ces hommes brutaux mais si gentils une fois que l’on avait touché leur cœur. D’ailleurs on ne lui proposa plus de partir.
Lorsqu’Einar mourut deux ans auparavant, elle a pleuré pour la compagnie. A elle, on autorisait ces marques de tristesse… alors elle le fit pour la compagnie toute entière. Ravalant ses larmes lorsqu’il fallut repartir. A chaque retour néanmoins, elle revient devant la pierre tombale de cette nouvelle meute, au sommet de laquelle trône le nom d’Einar. Comment pourrait-elle oublier celui qui la sortit de son patelin sous son manteau si chaud… A chaque retour elle pose une fleur et embrasse des lèvres le nom du capitaine.
Depuis que les nuits courtes de Martha devenait gênant pour la gamine Malheur préféra la sortir de son influence qu’il jugeait bien mauvaise pour la garder dans sa tente.
« Allez la mioche c’est mieux pour toi »
« Aller au collège flamboyant ?? Mais pourquoi ? »
« Pour apprendre à maîtriser ta magie. Tu causes plus de problèmes que tu n’en résous en temps normal. Et puis il est temps que tu fasses tes dents sur autre chose... »
La compagnie était triste, leur mascotte allait partir pour le collège. Une vie bien loin d’eux… mais sûrement mieux pour une enfant. Chacun y allait de son conseil. Les plus virils lui montrant ou viser dans l’entrejambe d’un garçon si on l’embêtait, un autre lui donnant une petite dague sans un mot, la plupart y allant de son petit coup de main sur son épaule pour lui souhaiter bonne chance..
Silence l’avait longuement regardé lors de son départ puis il lui avait souri, lui tendant une petite flûte qu’il avait sculptée pour elle.
Trois Doigts à sa manière fut affecté que son souffre douleur parte. Ses farces et ses illusions qui la faisaient trembler de terreur parfois la nuit n’auraient plus de spectateur !
Malheur quant à lui détacha la fibule en forme de loup qui retenait sa cape pour la lui accrocher lui même avant d’ébouriffer ses cheveux.
Et la belle Martha lui fit une petite dague pour se défendre, la dorlota, lui donnant plusieurs de ses vêtements au cas où… après tout, elle allait bien grandir, qui savait comment on la vêtirait la bas.
Quand elle partit le cœur gros, une partie de son cœur resta en arrière avec sa meute. Et eux, leur cœur si dur perla d’une larme de voir la gamine s’éloigner d’eux… pour un temps indéterminé. Il sembla que le vent ce soir la ne porta qu’une parole : « C’est mieux pour elle ».
… partir…
Comment pouvaient-ils donc imaginer qu’une enfant élevée par des loups pourrait s’habituer à la vie dans un collège de l’empire.
Lorsque la lourde grille du collège flamboyant se referma, elle regarda le colosse en feu. Il lui semblait qu’il s’agissait d’un de ces géants de feu qui parfois ornent les contes des troubadours de la taverne de Ribald. Elle n’était pas à sa place, mais même méfiant un loup ne montre pas sa peur, il devient nerveux et agressif.
En rentrant on lui montra son dortoir – elle avait un lit pour elle ! Un vrai lit ! – ainsi que sa classe où elle apprendrait comme tous les apprentis les rudiments de la magie pour pouvoir peut-être dans une dizaine d’année si elle était douée, commencer à lancer son premier sort après avoir assimilé une connaissance théorique parfaite.
On s’insurgea évidemment sur son manque d’éducation, imaginer qu’un korrigan lui donne une pièce d’argent contre une dent quand elle tombait, quel enfantillage ! Où avait-elle appris pareilles sornettes ? On s’époumona quand on se rendit compte qu’elle ne savait ni lire, ni écrire. On s’évanouit quand on remarqua l’état de saleté de ses cheveux complètement emmêlés. Depuis quand n’avait-elle pas pris un bain, pas tenu un peigne ?
La réponse ne sembla pas plus les intéresser puisqu’ils réglèrent la question en la plongeant directement dans un bain… chaud.
Quelques professeurs l’encensèrent pour son pouvoir inné mais la plupart n’en firent que peu de cas, jugeant cette faculté soit dangereuse, soit dénué d’intérêt. Elle tenta de reporter l’affection qui lui manquait sur les apprentis de son âge, qu’elle jugea bien vite sans intérêt, même si la leçon des coups de genoux bien placés fut utilisée avec une ferveur qui aurait fait plaisir à son mentor, puis sur les professeurs. Mais elle ne trouva pas la résonance dont elle était habituée, à part chez certaines femmes de chambre. Elle se sentait comme un poisson qu’un enfant agiterait hors de l’eau, transplanté, sans oxygène… elle déprima.
Elle s’évadait dans ses songes, elle rêvait de sa meute, et elle finit par comprendre que quoi que dise Malheur, elle était une louve… et la louve n’aspirait qu’à rentrer.
Seulement il existe toujours une différence entre vœux et réalisation. Et quand la première fois elle tenta de partir, la truffe au vent, elle ne put franchir le mur d’enceinte et on lui expliqua que, déjà rentrer au collège n’était pas simple, Malheur ayant du graisser bon nombre de mains, mais en partir de cette manière était tout simplement impossible.
Son comportement devint dès lors celui d’un animal en cage.
« Elève Edana, approchez »
Edana se leva, le maitre voulait encore la voir
« Pour avoir désobéi à votre maitre de contrôle mental, pour avoir détruit le lit de votre voisin, brulé deux tapisseries et un livre, vous recevrez 25 coups de bâton »
Elle accepta la punition, ici, bien plus qu’à la compagnie son cuir avait durci. De toute façon que pouvait elle faire à part les détester… les détester de toute ses forces…
1… 2…
Elle gémit à chaque coup, détestant l’homme, détestant le bâton… l’incendiant de ses injures…
11…12… Elle était à terre, ses jambes battus ne répondant plus à son injonction de se lever.
19…20… Elle les tuerait tous…
Le bâton prit feu ainsi que la barbe de l’assistant. Le maître le regarda avec surprise... comment était-ce possible ? Quelqu’un avait pu passer outre la protection magique ; simple certes mais qu’il imaginait suffisant.
Les coups s’arrêtèrent pour ce jour la… mais elle les tuerait tous se disait-elle quand on l’allongea sur une paillasse, son lit ayant été transféré à son voisin.
Cette nuit là, on la leva et on la conduisit dans les sous sols. Les maîtres avaient pris la décision de la marquer. Ce privilège était accordé habituellement aux élèves de la douzième année lorsqu’ils commençaient à prendre conscience de leur pouvoir. Mais si cette enfant arrivait à percer ainsi de manière innée une protection, pour le bien de l’école, il fallait soit la tuer, soit la briser et ainsi annihiler son pouvoir, soit le rendre contrôlable. Les deux premières solutions, radicales, ne les intéressaient pas en ces temps troublés.
Les cris de douleurs envahirent le sous sol. Les flammes des torches bougeaient sous le souffle des vents de magie. Le rituel dura toute la nuit, les cris aussi.
Au matin, ses épaules et ses bras étaient enveloppés de linges, elle brûlait de fièvre. Il ne s’agissait pas que d’une question physique, elle devait lutter sur tous les plans. Absorber la magie qu’ils avaient instillée en elle, combattre la fièvre, faire de son corps un réceptacle de pouvoir.
Deux semaines de délires et elle retrouva peu à peu les esprits. Lorsqu’on ôta ses bandages elle vit sa chair marqué par des signes qui fluctuaient dans le vent de magie, rongeant sa chair mais restreignant son pouvoir à son corps à l’intérieur du collège et servant de focus ou catalyseur en dehors.
« Malheur serait fou s’il savait » se rassura t’elle.
Elle comprit néanmoins que pour partir il faudrait être plus malin qu’eux, à défaut d’être plus fort. Le besoin de sa meute n’avait fait que grandir. Durant cette année, elle avait irrémédiablement mûri, mais pour se reconstruire, être elle même, elle devait retrouver ses loups. Elle refusait le destin que Malheur avait choisi pour elle, lui qui avait tout préparé pour qu’elle mérite mieux, mieux qu’une compagnie de mercenaires.
« Elle sera heureuse parmi les mages, elle deviendra quelqu’un… » avait-il dit à Sariour
« Mais quand tout est écrit d’avance, pourquoi fermer les yeux ? » lui avait-elle répondu en souriant.
Jeu 25 Oct - 19:13