Histoire de Kirsten Augenlos, sorcière flamboyante
Le Vieux Monde est un lieu étrange et dangereux, imprégné de magie. Ses habitants sont superstitieux et ont l'accusation facile. Quelques fois, des enfants naissent dans d'étranges circonstances et ils attirent immédiatement la méfiance du voisinage. C'est ce qu'il m'est arrivé. La naissance de jumeaux est déjà un évènement en soi, considéré comme un présage bon ou mauvais en fonction du contexte, de l'époque. Alors imaginez des triplées ! La suspicion pour diablerie vous colle, vous, votre frère et votre soeur dès lors que vous savez marcher ! Et pour peu que vous soyez en avance sur votre âge ...
Pourtant ma famille n'a rien d'extraordinaire, du moins pour l'Empire où la violence est le quotidien des Hommes. Mon père est un ancien mercenaire, maintenant vieillard, et toujours en vie ! A l'heure où j'écris, ce vieux fou approche de son centième anniversaire. C'est un survivant. Son âme, forgée et maltraitée par les horreurs de la guerre, est dure, sans pitié. Il ne m'a pas appris l'amour, plutôt les coups et la discipline. Longtemps je l'ai haï pour ça, aujourd'hui je le comprend : pas de temps à perdre, le monde est sale et laid, autant s'y préparer tout de suite.
Lors de sa dernière campagne militaire, il a combattu en Norsca, il avait quarante six ans. Le but de l'expédition était punitif, suite à des raids norsques dans le nord de l'empire et en Kislev. Toutefois, les habitants qu'on lui avait désigné comme sanguinaires, impies et barbares n'étaient pas si différents de lui. Les généraux donnèrent l'ordre de massacrer et piller. Sa compagnie s'en acquitta, comme n'importe quelle autre, mon père y compris. Il en parle encore aujourd'hui sans regrets ou remords, bien que ma mère déteste ça. Toutefois, à cette époque, il avait déjà dû trop en voir, et bien malgré lui, il eut pitié d'une jeune femme qui aurait eu un avenir sordide (viole collectif suivit de mort violente) sans son intervention. Il était alors sergent et usa de son influence auprès de ses hommes pour « se la mettre de côté ».
Et voilà comment il rencontra ma mère ! La pauvre n'était évidemment pas franchement ravie de cette appropriation, les norsques sont un peuple fier. Il la contraignit à se soumettre mais elle se défendit. Notre mère raconte avec fierté comment elle lui a longtemps tenu tête, l'obligeant à rester en permanence sur le qui-vive. Il la battait, rares sont les hommes qui traitent leur femme autrement, mais elle ne se laissait pas faire. Si mon père est surnommé « le borgne » (Augenlos) ce n'est pas dû à une blessure de guerre mais bien à une bagarre conjugale ! Finalement, au fil des ans, un certain respect s'instaura entre eux, la naissance de mes frères et soeurs aidant. Ils sont tout sauf un couple aimant, mais ils ont appris à vivre ensemble.
Je suis la dernière des triplées, née un été particulièrement chaud et sec, à la fin du siècle dernier (HRP : fin du XXVe siècle impérial si je ne m'abuse : difficile de dater l'histoire de son personnage, le jeu manque de précisions sur ce point), précédée par un frère et une soeur. Nous avions déjà un grand frère de huit ans notre ainé et deux grandes soeurs de six et deux ans plus vieilles. Et j'ai encore un petit frère, notre cadet, de six ans plus jeune que moi. Cela forme une grande fratrie de sept membres, une famille fort nombreuse pour nos temps sombres. Toutefois, à l'époque où je me suis engager chez les Loups, j'avais déjà perdu une soeur ainé morte en couche et mon frère jumeau, mais je vais revenir sur les circonstances de sa disparition.
C'est le jour de notre onzième anniversaire que les problèmes commencèrent. La réputation de sorcier des triplées n'étaient plus à faire dans notre village. Alors que mon frère, le plus vindicatif des trois, se battaient pour notre réputation, les choses tournèrent mal. Les enfants du village l'avaient acculé dans le chêne du vieux Bauer, lui crachant et jetant invectives, insultes et lourdes pierres pour l'en déloger. Généralement, ces altercations s'arrêtaient au premier sang versé, parfois celui de mon frère, parfois celui d'un agresseur. Mais ce jour là, le destin en avait décidé autrement. Personne ne sait ce qu'il s'est réellement passé. Les enfants revinrent au village en hurlant de terreur, hystériques. Leur récit était incohérent et complètement fantasmagorique. Du moins pour un adulte censé, mais c'était sans compter la crédulité des paysans.
Il est dit que mon frère se mit à réciter des litanies obscènes, maudissant les enfants qui le harcelaient, qu'il s'envola avec des ailes de chauve-souris en crachant du feu, qu'il attaqua un de ses assaillants, l'écorcha avec ses griffes et lui dévora le coeur, puis immola enfin le chef du groupe avant de littéralement s'évaporer dans les airs. Le fait est que mon frère avait bel et bien disparu, que le petit Billy était atrocement mutilé et Rolf, le leader, était complètement carbonisé (du moins a t'on supposé qu'il s'agissait bien de lui).
Le sang de nos voisins ne fît qu'un tour, et si ma soeur et moi sommes encore en vie c'est uniquement parce que mon père était craint et respecté. Un répurgateur fut appelé. Le procès fut rapide et sans appels : ma soeur et moi devions être exorcisées, séparées de notre famille et confiées à des sages assermentés par l'Empire pour veiller attentivement sur nos agissements. Birgit fut confiée à des moines sévères convaincus de sa corruption, je n'ai plus aucune nouvelle d'elle. Quant à moi, j'eu beaucoup plus de chance. Je fut envoyée chez un sorcier impérial de renom qui travaillait activement avec l'inquisition, feu Maître Erich, un grand homme qui m'a tout appris et dont j'espère ne jamais trahir la mémoire.
Longtemps je n'ai plus eu aucun contact avec ma famille. La mauvaise réputation des triplées les faisaient se montrer distant et froid avec nous et je ne me suis jamais senti proche d'eux. Maintenant je suis une vielle femme. Et, les années aidant, mes rancoeurs se sont apaisées et j'ai fini par revenir auprès d'eux. Ils m'ont accepté comme si rien n'était arrivé.
En revanche la séparation avec ma soeur et la brusque disparition de mon frère sont des souvenirs beaucoup plus douloureux à évoquer. Nous étions très proche, comme connectés les un aux autres. Je sais ma soeur vivante. Je le sens. Je la sais forte et juste. Peut être a-t elle fini par se faire accepter dans l'ordre religieu qui l'a accueilli. Quant à mon frère, personne n'a jamais retrouvé son corps. Aujourd'hui je ne sens plus sa présence comme lorsque nous étions enfants, mais je sais que peu après les évènements de ce jour maudit, je l'entendais me chuchoter de sombres secrets, attiser ma haine contre le monde qui nous rejetait. Ensemble nous nous sentions fort. Et j'aimais cela.
Evoquer ses souvenirs me glace encore le sang. Si le lien qui nous unissait tous les trois était rétabli, j'ignore complètement ce qu'il adviendrait.
Quoi qu'il en soit, ma vie a vraiment commencé lorsque je suis devenu la protégée de Maître Erich. J'étais trop jeune pour apprendre la magie. Mais il s'attacha très vite à moi et m'enseigna toutes sortes de connaissances : j'appris d'abord à lire, écrire, compter. Puis il m'enseigna l'Histoire, l'Astronomie, les Sciences de la Nature et surtout, la connaissance du Feu. Il remarqua très vite mon affinité naturelle et ma fascination pour cet élément. Le Destin faisant bien les choses, il s'avéra qu'il était lui même sorcier flamboyant. Il m'appris à temporiser mes ardeurs car Aqshy peut nous consummer aussi facilement qu'il se nourrit de la chair de nos enemis si nous laissons libre cours à nos passions. Il finança intégralement mes études au Collège Flamboyant d'Altdorf et me soutînt durant toutes les épreuves qui jalonnèrent mon apprentissage. Il fut plus qu'un simple tuteur. Il était un père patient et pédagogue, plein de sagesse, qui s'est paisiblement éteint il y'a maintenant plusieurs années.
Nous n'avons évoqué mon histoire familiale qu'une seule fois. Il m'a expliqué que les vents magiques étaient capricieux, incontrôlables, et qu'ils affectaient toutes choses, y compris les Hommes. Il a insisté sur le fait qu'il était inutile de chercher à comprendre, que le phénomène nous dépassait et qu'il fallait l'accepter. Etait-ce le Destin ou le hasard ? Il m'a appris que ce n'était pas à nous de trancher. Je suis née dans des circonstances particulières et il est probable que les vents magiques y soient pour quelque chose, ce qui expliquerait mon affinité naturelle avec Aqshy.
Toutefois c'est le dur labeur d'un apprentissage méticuleux et prudent qui m'a conduit à la maîtrise de la pyromancie. Avoir une affinité avec la magie est un don dangereux, car les vents mystiques venant du nord sont parfois habités par des entitées qu'un sorcier avisé préfèrerait éviter.
La Voie du magicien est semée d'embûche et tortueuse. Il faut se méfier de soi, de la magie et de ses « occupants ». Des gens aussi, qui, très superstitieux, ont vite fait de vous lapider ou brûler. De ses pairs carriéristes qui ne rêvent que de votre place ... J'ai appris tout cela bien souvent à mes dépends.
Lorsque notre maturité est suffisante pour parcourir le monde et mettre nos talents aux services de l'Empire, nous sommes brusquement confrontés à un monde où la Magie n'est pas la bienvenue, qui nous rappelle que l'université n'est qu'une tour dorée.
Comme beaucoup de mes camarades j'ai d'abord servi comme mage de bataille dans une armée impériale sous la tutelle de l'un de mes aînés. La vie avec la soldatesque n'est pas toujours évidente, surtout pour une femme. Mais une fois que vous êtes acceptée, vous vous trouvez intégrée dans une famille dure mais fidèle, sur laquelle vous pouvez compter, et que vous ne quittez jamais vraiment.
Une fois mon service effectué, je me suis retrouvée seule. La vie est rude pour une jeune femme de vingt trois ans dans l'Empire. Mes capacités m'ont autant sauvé la vie que failli me la faire perdre : il est dangereux d'user de magie devant témoins. L'obligation de payer ma cotisation à l'ordre flamboyant me contraignit à parcourir le monde en quête d'or et de connaissances magiques. Pendant trois années j'ai parcouru l'Empire : une vie de bohème en quelque sorte, la violence en plus. Mais cette vie aventureuse prit brusquement fin.
Je connaissais la compagnie mercenaire des Loups d'Ostland de réputation. Les soldats parlaient d'eux avec crainte et respect. Les histoires de mon père m'avaient inculqué une fascination étrange pour cette vie pleine de désespoir et de violence. Je rêvais de les rejoindre, par romantisme peut être, mais j'hésitais.
Finalement, un événement inattendu provoqua ma décision. J'avais pris l'habitude de vivre seule sur les routes, et je me servais naturellement de magie pour faciliter mon quotidien. Quelle idiote j'étais ! Entrer dans le village de Friche, un matin pluvieux, avec mon parapluie magique en guise de protection ! Je n'eus pas le temps de réagir lorsque les villageois hystériques me tombèrent dessus et m'assommèrent sans somation. Je me réveillais avec un mal de crâne atroce, ligotée sur un bûcher improvisé, devant une foule surexcitée !
Que devais-je faire ? Les laisser me brûler ? Alors que les flammes commençaient à me lécher les orteils, je rassemblais mes forces pour incanter un sortilège de protection. Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite. Aqshy était fort en ce lieu, peut être exacerbée par l'excitation des villageois. J'ai perdu le contrôle. Dans ma panique j'ai brusquement relâché le sort. L'air sur des lieues à la ronde s'enflamma. Puis le monde explosa.
Je repris mes esprits à quelques mètres de là : les dégâts n'étaient pas aussi grave que je pensais. Toutefois certains villageois ne se relevaient pas et les maisons alentour brûlaient. Ma seule réaction fut de m'enfuir de toutes mes forces, de courir vers Wolfenburg et d'entrer dans la taverne des Loups pour me faire oublier ...
[Extrait de Souvenirs d'une Maîtresse Flamboyante : histoire d'une louve, de Kirsten Augenlos]