Minuit [Validé]

Minuit observait l'homme qu'on lui avait désigné comme le recruteur des loups d'Ostland depuis maintenant une bonne heure.
Installée à une table avec la boisson la plus forte qu'on avait pu lui servir, elle réfléchissait à la meilleure stratégie à mettre en œuvre comme le lui avait appris Wilfried.

Le sergent était visiblement un homme rude et grossier qui s'ennuyait ferme à attendre les candidats et qui le leur faisait payer cher.
Quoi qu'elle puisse dire, être ou faire, elle savait déjà qu'elle se ferait insulter et malmener mais là n'était pas le plus important. Il fallait qu'elle qu'elle lui laisse une impression forte pour avoir la moindre chance d'être admise.
Se montrer forte, décidée, sans failles. Elle n'allait pas pour autant jouer la comédie pour se faire passer pour ce qu'elle n'était pas. Son avenir au sein même de la compagnie en dépendrait et si le sergent n'avait que mépris pour les personnes ayant un semblant d'éducation ce ne serait peut-être pas le cas de ses supérieurs.

Avalant le reste de son verre d'un coup, elle s'avança vers l'homme qui continuait à curer ses ongles avec grand soin, tout en mâchonnant son éternel chique. Il cracha au bassinet et la jeune femme ne put s'empêcher de sourire : Il montrait à cette tâche une telle régularité qu'il aurait pu rivaliser avec la meilleure horloge jamais élaboré par l'ingénierie naine.
Le saluant de façon ostentatoire, Minuit prit place sur la chaise sans même en attendre la permission.

La réaction ne se fit guère attendre, l'homme leva les yeux vers elle pour jauger qui pouvait être assez outrecuidant pour oser agir ainsi lorsque c'est lui, un fier loups d'Ostland, qui se trouvait de l'autre côté de la table.
Il devint rouge de colère en découvrant la jeune femme de 26 printemps qui se trouvait à présent en face de lui comme s'il y avait eut là la pire des insultes. Plantant sa dague dans la table d'un air menaçant, il aboya plus qu'il ne parla d'une voix rauque et avec un accent à couper au couteau :

-"Dégage de là pisseuse avant que je ne décide de t'élargir le sourire avec mon surin."

S'en suivit une série de jurons bien senties. Minuit, très calme et détendue, attendit que la tempête cesse pour pouvoir placer un mot, son sourire en coin toujours aux lèvres.

- "Je ne bougerai pas de là avant d'avoir fait ce pour quoi j'ai parcouru plusieurs centaines de lieux, sergent."

Quelque peu décontenancé par la réaction de la jeune femme, le recruteur se calma un peu.

- "Et t’es là pour quoi ? Cause vite, ta gueule me fout la gerbe, ça va m’couper l’envie d’boire."

-"Je suis venue là pour tâcher de rejoindre les Loups d'Ostland comme ma présence à votre table l'atteste."

L'homme partit d'un grand rire insultant auquel la jeune femme ne réagit pas, conservant sa nonchalance.

- "Et qu’est-ce qui t’fait croire que tu peux d’venir mercenaire péquenaude ? T’as vu des feignasses chez nous ? On r’crute pas chez les buveurs de lait."

- "Ce qui me le fait croire, c'est que j'ai déjà derrière moi quelques souvenirs de batailles. Et même si je ne prétend pas en compter autant que vous, le fait même d'y avoir survécu et d'avoir envie d'en voir d'autres est pour moi suffisant. Quant à mon efficacité au combat, elle peut certes s'améliorer mais je suis toute prête à faire une démonstration de ce que je sais déjà à qui le demandera."

Le sergent récupéra sa dague et poursuivit la besogne qu'il avait interrompu, semblant ne pas écouter le moindre mots de ce que disait la jeune femme. Un silence de plusieurs minutes suivit les deniers mots de Minuit. Elle avait finit par se demander si il n'avait pas décider de simplement ignorer sa présence et commençait à se dire que son choix de comportement avait pas été trop osé lorsque l'homme reprit enfin :

- "Et tu as appris quoi quand tu chialais dans les jupes de ta mère ? A faire la boustifaille ? La couture ? Et donne pas dans les sentiments, le larmoyant ça m’donnera surtout envie de t’foutre la gueule dans la boue et d’y marcher d’ssus."

- "Manier l'arme blanche, les arquebuses et autres armes de tir. Lire et écrire et compter également. Politique et quelques rudiments de stratégie."

D’un air dubitatif, le sergent griffonne quelques notes à la suite de ce qu’il avait déjà pris depuis le début de votre semblant d’entretien.

- "Mouais… crois pas qu’tu vas m’convaincre avec ça… y’a des puterelles dans l’coin qu’j’ai plus de raison d’engager qu’toi. Quand on s’engage chez nous c’est pour la vie… C’est pas une maison d’accueil pour les paumées dans l’genre. Si t’es là pour trouver ton papa perdu et t’barrer quand tu l’as r’trouvé tu peux retourner vers la sortie et d’casser d’là en priant que j’te refasse pas la tronche d’m’avoir pourri mon temps. T’en es consciente ? Alors comment tu vois ton futur chez nous si jamais on estime que ta carcasse peut y v’nir y prendre des coups ?"

- "Pas de famille, pas d'attaches, rien à perdre. En un mot, rien qui pourrait me dissuader du service que je devrais aux Loups. C'est donc bien un engagement à vie qui m'intéresse."

Sans changer d’attitude, bien au contraire, le sergent vous écoute d’un air féroce, comme s’il allait vous sauter sur le râble d’un instant à l’autre pour se passer les nerfs sur vous.

- "T’as que’qchose à rajouter avant de t’barrer d’ma table ? Après ça sera trop tard, laisse nous au moins un endroit où t’faire appeler si l’Capitaine il est intéressé par toi."

- "Rien à ajouter. Vous me trouverez à l'auberge de Wolfendurg où j'ai pris une chambre. Demandez Minuit. Le bonsoir."

La jeune femme se leva alors, salua le sergent-recruteur, et toujours aussi froide et calme sortit de l'auberge avant que l'homme ait pu ajouter quoi que ce soit d'autre.

Minuit errait aux alentours de la taverne de Wolfenburg et observait.
Elle avait assisté à des scènes bien étranges depuis son arrivée, comme cette jeune femme qu'il avait fallu assommer pour l'empêcher de tout brûler.
L'homme qui l'avait frappait n'avait pas l'air commode et au vu du respect que lui témoignèrent les autres, ce devait être là le capitaine Malheur dont elle avait entendu parler.
La discipline était exemplaire dans cette compagnie et la jeune femme se prit à songer quelques instants à ce que pourrait être sa vie parmi ces hommes et ces femmes.
Le sergent-recruteur n'avait pas tort : Avait-elle sa place parmi eux ? Saurait-elle s'intégrer ? Elle avait, à vrai dire, bien plus l'habitude d'être seule, à écouter, observer et agir de son propre chef que d'obéir à des ordres au sein d'un groupe.
Elle haussa finalement les épaules. Qu'importait ?...L'entretien qu'on lui accorderait si on jugeait sa candidature intéressante suffirait sans doute à faire la lumière sur ce point : le capitaine Malheur semblait bien connaitre son affaire.

Elle se détourna de l'auberge pour regarder vers l'ouest. Là, de l'autre côté de la Louve, à quelques heures de cheval tout au plus, au sein de la forêt du Drakwald, se trouvait Birkenwald....Ou bien...s'était trouvé...
Dans quel état pouvait bien être le paisible village de son enfance ?
Elle reporta tristement le regard sur ce qu'il restait de la cité de Wolfenburg, un peu plus loin, et frémit. Par réflexe, elle serra plus étroitement sa cape autour de son corps.

Le passé était mort depuis longtemps pour elle, elle devait songer qu'à l'avenir... Le pli de sa bouche se durcit tandis que ses sourcils se froncèrent. Non...son passé n'était pas mort... La vengeance ne lui permettrait pas d'oublier. Trop de soupçons encore pesaient qu'elle ruminait depuis sept années. Tout n'était peut être pas que ruines à Birkenwald et bientôt, sans doute, elle aurait l'occasion de s'en assurer.

Le vent rabattit sa chevelure châtain dans son visage et elle ne fit aucun geste pour les écarter. Ainsi, même de près, si un passant s'intéressait à la haute silhouette solitaire qui luttait contre les bourrasques, il ne verrait pas les larmes que Minuit n'arrivait plus à contenir. Ici, il n'y avait pas de place pour les faibles. Ces larmes, elle se le promit, seraient les dernières qu'elle verserait avant bien longtemps.
Le regard toujours fixé sur la Drakwald, elle tira sur la longue chaîne qu'elle portait autour du cou et saisit l'objet qui y était accroché. Son poing l'enserra de longues minutes comme pour se convaincre de son existence, de sa réalité, avant de le ranger à nouveau dans l'encolure de sa chemise.

L'elfe referma la porte de l'arrière-salle de l'auberge derrière Minuit qui poussa un soupir de soulagement.

Elle l'avait fait. Elle avait été accepté comme Louveteau. La Prudente... Cela lui allait plutôt bien à vrai dire...
C'était pour elle une première victoire et elle se promit que ce ne serait pas la dernière.

Tout en se dirigeant vers la sortie, Minuit resongea à l'entretien qu'elle venait d'avoir avec le capitaine Malheur. Elle s'autorisa un léger sourire : si l'on tenait compte du fait qu'elle avait été totalement sincère cela ne s'était pas si mal passé finalement.
La jeune femme était même plutôt satisfaite...Elle aurait presque pu jurer que l'homme lui avait fait un compliment...même s'il avait eut une bien curieuse façon de le tourner...
Cela devait être assez rare vu le nombre d'insultes qu'il lui avait asséné avant cela et auxquelles elle n'avait pas pris la peine de réagir. A quoi bon ? Ce n'était là qu'un test parmi les autres.
Il y avait sans doute des éléments importants concernant la personnalité du capitaine qu'elle pourrait faire resurgir d'une analyse approfondie. Ainsi, elle saurait comment se comporter pour mieux se faire accepter... et il faudrait qu'elle fasse de même pour tous les Loups qu'elle serait amené à croiser.

Sa main se posa sur la poignée de la porte de l'auberge qu'elle tourna d'un geste sec, plein de résolution. Pour le moment, il fallait qu'elle se présente au Boiteux qu'elle n'avait fait qu'apercevoir de loin. Ce serait à n'en point douter un autre rude combat. Elle se dirigea sans tarder vers le camp des Loups, ayant remarqué, avant l'entretien, que beaucoup des mercenaires avaient convergé par là-bas.